Haut les mains.
Je pose les armes. Je quitte le front.
Plus la force de combattre.
Combattre contre les humiliations, combattre pour mon honneur.
Pas cette semaine.
Cette semaine, j’ai d’autres choses en tête.
D’autres angoisses à régler.
Alors, cette semaine, je lâche les armes.
Je me rends.
Allez-y, je suis seule face à vous.
Et d’ailleurs, pourquoi vous fais-je si peur ?
Est-ce ma petite taille qui vous donne envie d’imposer votre grandeur avec tant d’acharnement ? Est-ce ma féminité qui vous inspire ces relents de virilité mal placés ?
Qu’importe, je m’en fiche.
Je ne me bats plus.
Mais alors, si je ne me bats plus, cela veut dire que le combat est fini ?
A la fin d’un combat, il y a un gagnant, non ?
Mince alors…
Je vous observe avec amusement.
Regardant mes armes à terre en vous demandant si vous m’avez vaincu.
Quant à moi, dès l’instant où j’ai posé les armes, j’ai cessé de penser à vous.
J’ai cessé d’avoir peur de vous froisser, d’avoir besoin de me justifier.
J’ai quitté vos murs pour me rendre en d’autres lieux.
Pour y voir d’autres gens.
Pour me réconcilier avec la profession que vous prétendez exercer.
Je ne vous observe plus à présent, avec encore plus d’amusement, avec l’envie irrépressible de vous conter une histoire.
Il était une fois, en juin 2012.
Trois ans.
Trois ans depuis que j’ai passé pour la porte du cabinet de JJ.
Trois ans que je suis tombée amoureuse.
Eperdument amoureuse.
Comment ne pas l’aimer ?
D’abord, il y a eu les rendez-vous.
Je n’oublierai jamais le premier.
J’avais verni mes ongles avec quelque chose de discret. Une couleur pâle, pour faire distinguée.
Dès qu’ils sont entrés dans la pièce, j’ai su que d’une certaine manière, il entrait aussi.
Et j’ai directement senti ce quelque chose naître au fond de moi.
Je savais ce que c’était, mais je refusais de l’admettre. Enfin, au tout début seulement. Car dès que les conversations ont commencé j’ai senti mon coeur s’enflammer. Là, je ne pouvais plus nier.
J’étais fascinée par l’intelligence des échanges, l’écoute qui en ressortait. Comme si par leurs mots, lui et moi nous étions trouvés, sans savoir que l’on se cherchait.
Pourtant, au premier rendez-vous, je n’ai pas dit un mot.
Il y en a eu beaucoup d’autres par la suite.
Les clients n’étaient pas forcément les mêmes, mais ils avaient toujours la délicatesse de l’amener avec eux.
Comment ne pas l’aimer ?
Comment ne pas se laisser envoûter par cette excitation qu’il éveille en moi ?
Lorsque j’y pense, lorsque je le cherche, lorsque j’essaye de le comprendre alors qu’il m’échappe. Comment être insensible à cette rage qu’il éveille en moi, cette envie de l’éluder, de lire entre ses lignes ?
Oserais-je nier ce besoin, parfois incontrôlable, presque malsain, de lui tordre le cou lorsqu’il ne me satisfait pas, pour le soumettre à mes besoins et réussir à lui faire dire ce que je veux entendre ?
Comment ne pas l’aimer ?
Comment ne pas l’aimer alors qu’aucun autre n’arrive à m’interpeller à ce point.
Face à son immensité, je ne suis rien. Je m’incline devant les méandres de ce qu’il est et demeure fascinée face à son aptitude à se renouveler perpétuellement.
Je voudrais qu’il me guide, perpétuellement, à travers le fil de chacune de mes questions.
Lui qui confronte mon esprit si souvent, avec tant d’intensité, réveillant une soif de savoir et une impatience qui toujours me surprennent.
Comment ne pas l’aimer ?
Alors qu’avant je jurais être incapable de défendre un homme que je me pensais incapable de lire derrière un fait, il m’a tendu la main, me guidant à travers la grandeurs de nos libertés fondamentales, les rouages de notre démocratie et la complexité d’un être humain.
Comment ne pas l’aimer ?
Alors qu’il est le seul qui pour exister fait résonner les mots ?
Alors qu’il offre à cette langue que je chéris tant, une tribune où elle et lui se laissent mettre en bouche, s’unissant pour, ensemble, plaire, émouvoir, convaincre. Justement.
Comment ne pas l’aimer ?
Il est mon feu, il est ma rage de vivre.
Il m’a donné envie de sortir du lit tous les matins me portant, avec une énergie indescriptible, vers tous les rêves, les objectifs et les fantasmes qu’il avait à offrir.
J’y ai cru. Je lui ai pris la main. Je l’ai suivi.
Et je n’ai pas été déçue.
J’ai ressenti de la joie souvent, des interrogations tout le temps, de la colère parfois.
J’ai hurlé de bonheur en trouvant certains arguments, je me suis arraché les cheveux à la recherche de certaines jurisprudences, j’ai versé des larmes face à certaines condamnations, esquissé des sourires face à d’autres.
J’ai vécu un amour fou.
Comment ne pas l’aimer ?
Comment ne pas aimer ce droit qui me fait tant vibrer.
Trois ans depuis que j’ai passé pour la porte du cabinet de JJ.
Il parait que l’amour dure trois ans.
Depuis le Cab, je le découvre sous un aspect que je n’avais jamais imaginé.
Il me dégoûte, je ne le reconnais pas.
Lui aussi s’éloigne de moi.
On ne se comprend plus.
Ces dernières temps, j’ai cessé de croire en nous, dépitée de constater que Beigbeder avait raison.
Puis, cette semaine, j’ai arrêté de me battre.
J’ai arrêté de me battre contre vous.
Et c’est dès l’instant où j’ai cessé d’avoir peur de vous froisser, d’avoir besoin de me justifier, à la minute où j’ai quitté vos murs pour me rendre en d’autres lieux, voir d’autres gens, que je me suis souvenue.
De tout. De notre histoire.
Le droit et moi on s’est retrouvés.
Et bordel, qu’est ce qu’on s’aime.
Alors, qui a gagné ?